La pluie sur
Alger
Meymana et Neyla
retrouvaient Alger sous une pluie drue qui lavait la ville de sa poussière et de
sa pollution urbaine. Le ciel était bas et les passants pressaient le pas
pendant que la voiture les ramenait de l’aéroport Boumediene.
Le quartier El
Harrach était boueux et le lit de l’oued se remplissait.
Arrivées à Kouba,
les escaliers ruisselaient d’eau et l’inquiétude des habitants réveillait les
souvenirs des inondations. Au volant Haroun racontait l’échec des dernières démarches
effectuées.
Ce faisant, il
taquinait Neyla sur son séjour à Oran en vantant la majesté des paysages
kabyles. Meymana aimait son nationalisme régional, elle en souriait souvent, et
parfois s’en agaçait. Neyla déployait sa séduction sur Haroun tout en guettant
Mey dont elle espérait piquer la jalousie.
Meymana était
jalouse et amusée du regard qu’Haroun posait sur le charme vénéneux de Neyla.
Le lendemain, après
sa visite à Stephano, elle prendrait l’avion pour la France et laisserait
derrière elle son désir et son trouble. Haroun avait femme et enfants et elle
avait eu son lot d’hommes interdits, elle avait besoin de retrouver ses
repères.
Elle avait trouvé
Stephano effondré, dans une grande angoisse et se souciant plus de sa mère que de
lui-même; il craignait des pressions voire des représailles sur elle. Pour sa
part il semblait accepter son sort et se résigner à passer un certain temps
dans les prisons algériennes.
Cette posture
nouvelle chez lui, révoltait Meymana. Elle lui annonçait son départ pour la
France afin de mobiliser certaines personnes qui pourraient intervenir en hauts
lieux. L’annonce de ce départ eut pour effet de le déstabiliser un peu comme
si, Mey était le seul élément sécurisant autour de lui.
Il n'oublia pas,
cependant, de lui parler de ses sentiments pour Neyla et Mey lui fit comprendre
à mi mots son penchant pour les femmes, ce qui finit de l'accabler.
En quittant
Stephano, Meymana était tellement submergée par son angoisse qu'elle se posait
la question de prolonger son séjour à Alger. Elle craignait un acte définitif
de Stephano. Haroun l'en dissuada, lui enjoignant fermement de ne pas se mettre
en danger ce qui serait d'aucune aide à Stephano. De plus il avait arraché une
autorisation de visite sans limite pour Stephano, il pourrait ainsi veiller sur
lui, il le promit à Meymana.
Elle dut convenir
qu'il avait raison, il alla donc chercher sa voiture pendant qu'elle préparait
sa valise.
Une heure, qui lui
parut interminable, passa avant de voir revenir Haroun avec un sourire
énigmatique et un regard hésitant : il venait de recevoir un coup de fil
mystérieux, lui annonçant la libération de Stephano et son expulsion pour la
France dans le même avion que Meymana. La voix lui annonçait qu'il déposerait
lui-même Stephano à l'aéroport Boumediene. Mey hésitait entre
la joie et la méfiance : est-ce une manipulation, un piège ou un retour à la
raison diplomatique ?
La joie pris le
dessus, et elle sautât dans les bras de Haroun qui lui déposa un baiser furtif
sur la tempe. Elle appela Neyla qui arriva aussitôt essoufflée et exubérante.
Cependant Haroun
avertit par précaution des camarades, leur demandant d'être présents à
l'aéroport, de manière dispersée, et de ne se rassembler que s’il y avait
danger. Meymana arriva la première, suivi de Neyla et Haroun qui obtint
l'autorisation de l'accompagner sur le tarmac.
Tout semblait calme
et normal, mais il n'y avait aucune trace de Stephano.
Elle allait
embarquer, inquiète à nouveau, lorsque Haroun lui chuchota à l'oreille qu'il
avait aperçu Stephano accompagné d'un homme caché derrière des lunettes noires
et un grand imperméable comme dans le films de série B. Stephano avait fait un
mouvement de la main lui signifiant qu'ils allaient se retrouver dans l'avion.
Meymana se décida à
quitter Haroun très émue et peu rassurée malgré tout. Elle savait que derrière
elle, elle allait laisser quelque chose d'indéfinissable et de définitif. Ce
n'était pas de l'amour, mais une envie de l'amour. Durant ces quelques jours
elle avait danser avec une ombre, mais pour une raison inconnue elle ne se sentait pas libre. Elle était liée, mais à
quoi, à qui ?
Meymana
cherchait la place quatre-vingt-quatre
lorsqu'elle aperçut Stephano assis à la place quatre-vingt-trois. Contrôlant son
émotion, elle s'assit à coté de lui comme à coté d'un inconnu, seul le pied de
Stephano crocheta le sien sous le fauteuil pour bien vérifier qu'elle était
bien réelle et ce jusqu'au décollage de l'avion.
Les larmes
commençaient à secouer le corps de Meymana. Stephano la prit dans ses bras à la
grande surprise de la passagère qui était assise de l'autre cote et avec qui il
avait commencé à converser.
Fériel était une
Algérienne de Tlemcen, les yeux mordorés entourés de cheveux blond vénitien comme
en voyait dans cette ville, coupés au carré façon garçonne, une tunique baba
cool sur un jean de rigueur. Stephano reconnaissait la soie du foulard qu’elle portait autour du cou : c’était
une mrama dont les femmes se
voilaient avant le fondamentalisme ; Fériel l’avait teint en rouge et
machinalement l’entourait sur son poignet comme un bracelet tout en lui
racontant ses études de lettres, sa thèse sur Stendhal, son groupe de rap
qu’elle avait quitté comme son fiancé d’ailleurs. Ses phrases semblaient
méditées, retenues mais au bord de l’excès.